Alex Grenier Signature
La guitare de ce mois-ci est une commande. C’est le guitariste Angevin Alex Grenier qui m’a donné le cahier des charges. Et ce cahier des charges était précis, pointu et détaillé. J’avoue clairement que, d’une manière générale, je me fais plus plaisir à fabriquer des guitares qui ne sont pas commandées, je prends tout le temps dont j’ai besoin, parfois plusieurs années, je ne travaille sur l’objet que lorsque mon esprit est suffisamment disponible et totalement voué à cette cause, et je prends même un malin plaisir à faire durer les choses jusqu’au moment où j’ai acquis la totale certitude que je ne pourrais pas faire mieux que ce que je m’apprête à faire. Je ne dis pas que c’est systématique, mais si besoin c’est comme ça que ça se passe. Mais il est bon parfois de se confronter à la commande et d’en subir la pression, surtout lorsqu’au final on obtient une réussite qui n’aurait peut-être jamais vu le jour sans cela. Alex m’aura dirigé avec sourire et insistance vers une fructueuse collaboration, et j’imagine aisément maintenant comment Alex travaille avec ses (excellents) musiciens.
L’Héritage
Alex vient de Hofner, Héritage et Gibson, il a donc un peu fait le tour et la synthèse de ses besoins, il a bien analysé les points faibles, notamment ergonomiques, et me demande de lui faire une guitare jazz, avec un accès aux aiguës le plus dégagé possible, sans toutefois se retrouver avec un manche tellement excentré que le poignet gauche s’en trouve cassé, la main droite devant aller chercher vers l’avant une position tout sauf naturelle.
Bien dégagé
J’ai pu résoudre en partie ce problème en m’orientant vers un pan coupé florentin, (il aura fallu quand même que je vérifie sur google lequel du “rond” et du “pointu” est le florentin et le vénitien, (et je crois que je mourrai avant d’avoir pu mémoriser cela)) car déjà le pan coupé florentin laisse plus d’espace pour le dos de la main, mais j’ai également re-dessiné ce pan coupé pour lui donner une forme harmonieuse, tant pour la partie ôtée que pour la pointe restante, les recherches sur le web m’ont vite démontrée que c’est pas gagné pour tous les dessins de pan coupés. Pour finir, et la subtilité n’est pas particulièrement mise en avant du fait de l’absence de repères sur la touche, la jonction du manche et de la caisse a été réalisée à la 15 ème case au lieu de la 14 ème comme cela se pratique traditionnellement. Ce petit décalage ajouté au pan coupé profond nous a permis de dégager complètement l’accès jusqu’à la 22 ème frette sans dénaturer l’ergonomie naturelle de la guitare, et le chevalet, remonté de fait, de quelques centimètres plus haut sur la table, reste dans une zone qui ne compromet pas cet équilibre naturel. Evidemment, fabriquer un manche de 15 cases interdit l’utilisation des gabarits standards, on se retrouve donc face à l’obligation de travailler à l’ancienne, tout à la main sans aucune aide mécanique ou presque. Créer un modèle hors de clous implique systématiquement des contraintes assez lourdes. Et encore, j’ai eu la chance que la guitare puisse encore entrer dans un étui standard, car parfois quelques millimètres de trop et là aussi ça coince.
les Bois
Nous avons choisi les bois traditionnellement utilisés pour ce genre de guitares: érable laminé magnifiquement ondé et ébène. Mais parmi les désirs et besoins du musicien, le très fort tirant de cordes en l’occurence 18-65 accordé un ton en dessous (ré) et le fait qu’il joue en groupe à des volumes assez élevés m’a incité à travailler sur des épaisseurs de placages renforcées (7 couches au lieu de 5 ) et des barrages largement dimensionnés. Le manche est en érable US , en 3 lames, beaucoup plus solide que n’importe quel acajou, et vu la destinée de la guitare je ne pense pas que ça soit du luxe.
Pièces noires
Autres sources de réflexions et de recherches assez intense, le désir (largement justifié au regard du résultat final) d’avoir un accastillage totalement noir nous a valu à Alex et à moi quelques heures de recherches sur le web, et nous avons pu dégoter un des rares cordier jazz suffisamment solide et esthétiquement compatible qui existe dans cette couleur, nous avons pu composer des mécaniques à tête tulipe à partir d’éléments séparés, et pour finir, le micro Seth Lover a reçu un capot noir en lieu et place du chromé livré d’origine. Ce fut avec le cordier, une des recherches des plus ardues, car pour micros de type humbucker, il existe toute une variété d’espacement entre plots et qui se jouent sur un ou deux dixièmes de mm et quand ça ne tombe pas au dixième de mm prés, le résultat est vraiment moche! C’est en ce genre de détails que l’on voit tout l’interêt et le confort qu’on a pu trouver avec l’avènement d’internet en comparaison de ce qu’il fallait subir dans les années 80. On se retrouvait à faire des guitares originales mais sur lesquelles on posait des vis trouvées en grande surface et c’était disons très …”artisanal”, dans le plus mauvais sens du terme, dans un sens qui ne devrait même pas exister dans le langage courant tellement il est péjoratif pour les artisans.
new design
Déclinant les dessins d’ouïes que j’utilise depuis plusieurs années, j’ai pu re-créer un design original qui m’apporte bien des satisfactions. Dans la continuité de mes recherches sur la simplicité et faisant appel à des motifs que j’utilise régulièrement pour les incrustations, la cohérence reste au rendez-vous: être original sans être extravagant.
Au final, le binôme à l’origine de cette guitare à parfaitement fonctionné, il n’était pas que simple et évident, mais chacun de nous a pu ajouter sa patte, parfois pour compenser une absence d’idée sur un sujet précis, parfois pour orienter vers des options qui n’étaient pas envisagées par le commanditaire ou l’executant.
Vidéo
Et pour finir, Alex nous gratifie d’une vidéo dans laquelle on le voit découvrir sa nouvelle guitare! http://www.alexgrenier.fr/nouvelle-guitare-signature-🎸/
http://www.alexgrenier.fr/nouvelle-guitare-signature-🎸/
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